Et si l’on cessait de parler d’entrepreneuriat féminin ? - Bouge ta Boite

Et si l’on cessait de parler d’entrepreneuriat féminin ?

Valoriser les qualités spécifiques des entrepreneures semble une bonne idée. Mais cela peut conduire à accentuer les préjugés sexistes et les inégalités. Rêvons plutôt d’un monde où le genre ne sera plus un critère pour entreprendre ! 

Le leadership, la performance ou l’audace pour les hommes ; l’organisation, l’écoute et l’empathie pour les femmes… L’enquête sur l’égalité professionnelle que vient de réaliser Bouge ton groupe auprès d’une centaine de CEO et DRH en témoigne : les préjugés sur les compétences professionnelles associées au genre ont la vie dure. Et, fait notable, ils sont véhiculés autant par les femmes que par les hommes, en des termes quasiment identiques. 

De tels résultats ne peuvent que nous interpeller, nous qui accompagnons des milliers d’entrepreneures dans leurs projets et leurs démarches. Ils confirment ce que nous constatons au quotidien : non seulement les femmes qui entreprennent sont victimes de discriminations, mais elles les ont bien souvent intégrées au point de les trouver naturelles…

 

Le financement, premier obstacle

Une première discrimination flagrante porte sur le financement des projets, qu’il s’agisse de l’accès aux prêts bancaires ou des levées de fonds. Les analystes – en majorité des hommes – ont tendance à favoriser les projets portés par des hommes, des projets qui leur ressemblent. 

Les femmes porteuses de projets finissent par intégrer l’idée que la finance, ce n’est pas leur domaine. Convaincues qu’il vaut mieux faire avec ce que l’on a, elles auront tendance à formater leurs projets entrepreneuriaux à l’aune de leurs propres économies, et non de la possibilité d’emprunter pour investir. 

En conséquence, les observateurs auront la preuve, en toute “objectivité”, que les femmes sont moins ambitieuses que les hommes, puisque leurs projets sont plus modestes et moins rémunérateurs. Cela revient à confondre les causes et les effets : c’est parce que les femmes ont moins facilement accès au capital, et qu’elles l’ont plus ou moins consciemment intégré, qu’elles investissent moins. Elles sollicitent moins de financement parce qu’elles savent qu’on le leur accordera plus difficilement, et non pas manque d’esprit d’entreprise. 

 

Les “joies” de la maternité

Un second préjugé majeur, et donc une seconde source de discrimination, est lié à la maternité. Plus encore que dans le monde salarié, elle est un frein pour les entrepreneures. Nous ne parlons pas seulement du congé maternité, mais de tout ce qui gravite autour des enfants. Aujourd’hui, avoir une carrière et des enfants, ne pas être disponible pour la sortie de l’école ou le repas du soir, c’est pour une femme devoir assumer le regard critique de l’entourage. Pensez donc, ces pauvres enfants qui n’ont que leur baby-sitter à l’heure du goûter…

Pour les entrepreneures, nombreuses, qui travaillent à domicile, s’ajoute la confusion entre le bureau et le foyer. Puisqu’elles sont à la maison, pas de soucis pour s’occuper de leur progéniture ! Là encore, elles finissent par intégrer l’injonction sociale : être entrepreneure à domicile et mère de famille, c’est mener les deux à la fois, et courir le risque que leur enfant débarque dans le bureau en pleine visio avec un prospect important. Étonnons-nous, après cela, que la majorité des femmes que nous accompagnons ne dégage que 1500 euros ou moins de revenu mensuel…

 

L’illusion de l’entrepreneuriat féminin

Pour contrer ces préjugés – et il y en a de nombreux autres –, certains sont tentés de promouvoir les spécificités d’un entrepreneuriat féminin, fort de ses soft skills, de ses capacités humaines et relationnelles, de sa moindre agressivité. L’intention est louable car ces qualités sont en effet nécessaires dans le monde du travail comme ailleurs. Mais labelliser ainsi l’entrepreneuriat en fonction du genre ne sert qu’à maintenir les inégalités, voire à les accentuer. En vertu de quoi une femme devrait-elle être moins ambitieuse ou déterminée qu’un homme ? En vertu de quoi un homme n’aurait-il pas droit à être aussi bienveillant qu’une femme ?

Genrer ainsi les qualités de entrepreneur.e.s est une double erreur, qui ne rend pas service aux femmes. D’une part, cela revient à nier que l’ensemble de ces qualités peuvent et doivent être partagées par des femmes et des hommes. D’autre part, c’est nier la diversité de l’entrepreneuriat féminin. Il n’y a pas “un” problème de l’entrepreneuriat féminin, mais toute une série de préjugés, d’obstacles et de discriminations qui n’affectent pas de la même manière toutes les femmes, les jeunes ou les plus âgées, les mères célibataires ou les celles qui vivent en couple, les Parisiennes et celles qui habitent en zone rurale.

 

Notre utopie : une société réellement égalitaire

Notre mission, à nous qui accompagnons les entrepreneures et les entrepreneurs, n’est pas de les catégoriser, mais bien de les aider à casser les stéréotypes qui les freinent. Ce n’est pas une mince affaire, car cela revient à mettre fin à des siècles d’encodage culturel ; mais c’est porteur d’un très grand espoir, celui d’une société réellement égalitaire.

Imaginons un seul instant une société où les femmes et les hommes auraient le même accès au crédit, où la charge mentale du foyer serait partagée, où une fille qui rêve d’être pompier serait encouragée au même titre que son frère qui veut devenir assistant social. Un monde où l’on ne se soucierait pas plus de votre genre que de la couleur de vos cheveux, et où l’on n’aurait plus besoin de mettre en place des réseaux et des formations spécifiques sur l’entrepreneuriat au féminin. Un monde où l’on ferait appel à la détermination, à la responsabilité et à l’audace de chacune et de chacun…

Eh bien, ce monde serait bénéfique à tous : l’OCDE a calculé qu’une telle égalité entre les femmes et les hommes entraînerait une croissance de 12 % du PIB mondial, soit 12 000 milliards de richesse supplémentaire d’ici à 2030 !

 

Notre job : faire vivre l’impossible

Penser ce monde de demain, ce n’est pas nier les obstacles d’aujourd’hui. Dans nos réseaux, nous sommes bien placé.e.s pour le savoir, le chemin est encore long pour y parvenir. Il va falloir déconstruire, un à un, ces stéréotypes qui freinent l’initiative féminine. Il va falloir, encore et encore, mettre au jour et dénoncer les préjugés dans le monde du travail, pour que toutes et tous en prennent conscience et puissent les démonter.

Cela passera par la loi, comme nous l’avons fait en France depuis la loi Roudy de 1983 sur la parité. La toute récente loi Rixain-Castaner, qui impose à l’horizon 2030 un  quota de 40 % de femmes dirigeantes dans les entreprises, et pas seulement les plus grandes, montre que l’on peut encore avancer sur ce terrain-là. 

Cela passera aussi par une modification de nos comportements individuels et collectifs. C’est en additionnant mille petits changements chez des milliers, puis des millions de personnes, femmes et hommes, que nous mettrons en place ce projet qui va bien au-delà des seules entreprises, mais concerne la société tout entière. 

Lucides, nous savons les forces de résistances qu’il nous faudra encore affronter. Mais au-delà, nous savons que le jeu en vaut la chandelle. L’avenir de l’entrepreneuriat passe par une réelle mixité. C’est une utopie, certes. Mais c’est notre job d’entrepreneur.e.s de croire à l’impossible et de le faire vivre. Alors, on y va ?

 

 

Julie Bodin

Directrice générale de Bouge ta Boite et Bouge ton Groupe

Bouge ta Boîte est un réseau d’affaires dédié aux entrepreneures qui souhaitent bouger leurs compétences et leur business grâce aux + de 1800 femmes dirigeantes membres du réseau.

Anaïs Prétot

Co-fondatrice et directrice générale de LiveMentor.

LiveMentor est un organisme de formation qui a accompagné plus de 14 000 entrepreneurs dans la création et le développement d’une entreprise à taille humaine.

Bouge ta Boite

Bouge ta Boite est le réseau business féminin pour gagner en stratégie, chiffre d'affaires et leadership !